Changements Climatiques

Les changements du monde par le climat

Contribution Climat Energie ou Taxe Carbone : baisser la TVA comme solution ?

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Alors qu’on apprend ce soir que le gouvernement rendra public ses arbitrages la semaine prochaine, que Nicolas Sarkozy veut « assumer » la taxe carbone, que Ségolène Royal persiste et signe dans la démagogie, qu’un sondage indique que 66% des Francais y sont opposés… c’est le bazar en France autours d’un instrument pourtant vital si nous voulons vraiment lutter contre les changements climatiques.

Je ne vais pas revenir sur les fondements de la fiscalité environnementale, ni justifier pourquoi il est indispensable, pour notre société, d’anticiper le renchérissement des matières polluantes et énergétiques (bien que ce ne soit pas forcément agréable à entendre). J’argumenterai à l’occasion, mais d’autres l’ont très bien fait ailleurs. Je ne reviens pas non plus sur la nécessité d’inclure l’électricité dans le calcul, les autres gaz à effet de serre que le CO2… J’utilise le terme Contribution Climat Energie, par préférence à Taxe carbone (trop restreinte).

Je voudrais revenir sur deux points les plus douloureux, les plus complexe : que faire de recettes ? comment faire en sorte que le dispositif soit acceptable socialement ?

Les solutions envisagées jusqu’à présent

  • Redistribution des recettes par l’intermédiaire d’un « chèque vert », à égalité par tête. Cette solution soutenue par la FNH a le mérite de constituer un dispositif qui, globalement, est progressif, car les plus pauvres sont moins consommateurs d’énergie que les plus riches (qui paieront donc plus de taxes que les plus pauvres). Je sais ce dispositif mal perçu ; l’idée est certes contre-intuitive… pourtant les statistiques sont là.

Avantage : la question sociale est normalement réglée… à condition que ce soit accepté ! Ce n’est pas parce qu’un dispositif est juste qu’il est perçu comme tel…

Désavantage : l’usage des ressources n’aide pas à la conversion écologique, on ne garde que le « premier dividende » de la taxe (renchérir le prix de ce qu’on veut diminuer).

  • Utiliser les recettes pour aider à la conversion, à réaliser des investissements (à l’échelle de l’individu ou du pays)… C’est un « chèque vert » vraiment vert, puisqu’on lui ajoute une conditionnalité environnementale. Cette solution est supportée par des ONG, des députés européens d’Europe Ecologie notamment.

Avantage : double dividende environnemental.

Désavantages : règle mal la question sociale, potentielle « usine à gaz » fiscale (sans jeu de mot), ne permet pas un niveau de fiscalité constant.

  • Baisser les charges sociales (CSG, CRDS), l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les sociétés, la taxe professionnelle. Cette solution a eu (au moins un temps) les faveur du gouvernement ; la suppression de la taxe pro est plébiscitée par les économistes car c’est un impôt très « distorsif ».

Avantage : garantit le niveau de fiscalité constant, potentiellement populaire

Désavantage : n’aide pas à la conversion écologique, probablement peu équitable, inacceptable pour les syndicats (qui voient dans la réduction des charges sociales l’équivalent d’une baisse de salaires), fait revenir l’argent dans le budget général de l’Etat.

  • Evidemment, un mélange de chacun de ces systèmes est possible.

La solution dans la TVA ?

J’ai eu l’occasion de participer à la Conférence des Experts présidée par M Rocard ; et il est une solution que je crois n’avoir pas entendu être envisagée du tout : baisser la TVA. Après vérification, voici ce qui est dit sur cette éventualité dans le rapport de Michel Rocard :

« – la baisse de TVA serait une réponse peu ciblée et peu équitable; » (p49)…….. et c’est tout !

Lors des débats, je ne crois pas qu’un seul intervenant ait envisagé sérieusement cette possibilité. Elle a seulement été indirectement introduite dans certaines simulations macro-économiques qui cherchaient à simuler les effets d’une baisse uniforme de tous les prélèvements obligatoires (dont la TVA).

Et pourtant, cette solution aurait un certain nombre d’atouts :

-cela revient à mettre en place un bonus-malus généralisé à l’ensemble de l’économie. De la sorte, la mesure n’est pas inflationniste, puisque certains prix augmentent quand d’autres diminuent…

En effet, prenons le cas d’un produit « moyen » en terme d’émissions de CO2 pour sa production. Si trois fabricants ont trois modèles qui ont été produits de manière différentes, avec des résultats différents en matière d’émissions de GES et d’efficacité énergétique, la CCE et la baisse de la TVA aboutit in fine a donner un avantage comparatif au plus vertueux.

CCE et TVA 2

(Les échelles ne sont pas respectées sur le schéma ci-dessus)

Evidemment, le raisonnement doit être élargi à toutes les consommations de l’économie : au delà des produits vertueux au sein d’une même gamme de produits, ce sont les consommations respectueuses de l’environnement qui sont encouragées (par exemple,  consommer des services de proximité plutôt que des produits hautement émetteurs). Or c’est bien cela -changer les habitudes de consommations- qui est fondamental sur le long terme.

Lorsque nos concitoyens déclarent « ne pas vouloir d’un impôt de plus », c’est qu’ils ont peur de voir les prix augmenter sans recevoir de contrepartie. C’est de là que vient le rejet massif… La question est réglée si on donne un avantage aux produits/services vertueux (principe supporté par les écologistes, mais au travers du chèque vert qui désigne précisément, produit par produit, celui qui est bon ou pas… système fort complexe à mettre en oeuvre pour l’heure).

Quels seraient les avantages ?

-le rapport Rocard déclare qu’un tel dispositif  « serait une réponse peu ciblée et peu équitable ». Peu ciblée, certes… mais c’est plus un avantage qu’un inconvénient, puisque cela permet de redistribuer directement du pouvoir d’achat, à tous les ménages dès lors qu’ils adoptent des comportements plus vertueux.

-« Peu équitable ». C’est franchement discutable ! On voit mal comment on pourrait faire plus équitable en baissant la TVA, prélèvement obligatoire le plus régressif qui soit, puisqu’il frappe aveuglément tous les consommateurs sans distinctions de revenus (rappelons que la baisse de la TVA est un projet généralement soutenus par les gouvernements soucieux des questions d’inégalités sociales).

On aurait aimé, en tout état de cause, que le rapport Rocard réfléchisse plus sérieusement à la question.

-cela règlerait la question de l’inclusion des entreprises et de leurs compensations : elles sont encouragées à créer de la valeur ajoutée, avec moins de gaz à effet de serre et d’énergie. Elles récupèrent a priori la réduction de charge… et elles le conservent uniquement si elles sont vertueuses.

-le dispositif répond au critère de stabilité des prélèvements obligatoires.

Quels seraient les inconvénients ou critiques ?

-il faudrait s’assurer que la baisse de la TVA soit effectivement répercutée vers les consommateurs (soit sur les prix, soit sur les salaires) et ne serve pas à la rémunération du capital.

-les recettes issues de la CCE seraient reversées au budget général de l’Etat. Ce point a été assez largement été reconnu comme négatif lors de la conférence des experts (y compris par les syndicats), car elles risqueraient d’être avalés par Bercy sans qu’aucune action ne soit mise en place. Cette critique ne tient plus véritablement dès lors qu’on décide une baisse de la TVA simultanée.

-les recettes seraient « biodégradables », ce qui conduirait à réduire les recettes de l’Etat… Ce point n’est généralement pas débattu, car considéré comme « évident », même dans la littérature économique (à l’exception d’une note du CEDD qui mentionne l’idée : « les recettes issues de la  taxe carbone, contrairement à ce qui est souvent affirmé trop rapidement, ne disparaissent pas.« ) Pourtant, on peut penser l’inverse ! En effet, les émissions de GES étant de plus en plus difficiles à diminuer, cela coûte de plus en plus cher au fur et à mesure des réductions (le coût est croissant et de manière plus que proportionnelle) : c’est ce qui justifie l’augmentation du taux de la taxe. Il y a donc un effet compensateur entre la réduction de l’assiette de la taxe (les émissions) et le taux. On peut en réalité s’attendre à une augmentation des recettes de l’Etat (puisque l’efficacité marginale de la taxe est décroissante). Une analyse plus fine serait évidemment nécessaire, afin de mesurer les variations de revenus issus des autres prélèvements obligatoires… mais pour ce qui est de la CCE, elles ne disparaitront pas.

-il est vrai que « l’incitation » à la sobriété est moindre sur chaque produit que dans le cas d’une application de la CCE sans baisse de TVA (et sans redistribution). C’est évident, puisque le dispositif « CCE + baisse de la TVA » implique une redistribution immédiate du pouvoir d’achat. Mais cela n’est que plus favorable à la fiscalité environnementale ! Alors qu’aujourd’hui, on peine à accepter 14€ la tonne de CO2 (niveau très insuffisant pour réduire les émissions diffuses), on pourrait monter à 32€ facilement. En effet, en augmentant le taux de la CCE, on remplit davantage les caisses de l’Etat, donc on peut faire un baisse plus importante de la TVA, et in fine cela induit une diminution enocre plus grande des prix de certains produits ! Les équilibres économiques entre produits sont changés, pas le niveau général des prix.

Est-ce faisable ?

La TVA n’est pas encore totalement harmonisée au plan européen, et les Etats sont libres de fixer le taux (normal) entre 15% et 25%. La France pourrait donc diminuer de 4.6% le niveau de sa TVA, sans aucun problème.

Un très rapide calcul en coin de table pour avoir des ordres de grandeur très grossiers :

-si on imagine que toute les recettes proviennent de la TVA à 19.6% (ce qui est faux puisqu’il existe une taxation à 5.5% et 2.1%… mais je ne connais pas le détail de la provenance des recettes), chaque point de TVA correspond à 6.9 milliards d’€ (puisque les recettes nettes issues de la TVA étaient de 135 milliards d’€ en 2008).

Donc le manque à gagner pour l’Etat serait, dans le cas d’une TVA à 15%, de 4.6*6.9=31.7 milliards d’€, toute chose égale par ailleurs.

A quel niveau pourrait-on fixer le taux de la CCE ? Sachant qu’un prix à 15€ la tonne de CO2 rapporte 4 milliards, le taux pourrait être fixé à 118€ la tonne de CO2. Soit plus que l’objectif qu’il faut nous fixer à l’horizon 2030 pour pouvoir atteindre le facteur 4 (100€ d’après le rapport Quinet).

Evidemment, une analyse plus fine serait nécessaire et le calcul est bien plus complexe mais l’idée est là et visiblement, les ordres de grandeurs sont jouables.

10 Réponses

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  1. J’ai proposé pour ma part la non déductibilité de la TVA sur la consommation des énergies fossiles venant abonder un fonds d’investissement dont l’objet est de financer, sur la base de la TVA non reversée, la réduction de l’empreinte écologique des entreprises et des agriculteurs.

    -> http://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/taxe-carbone-ou-non-deductibilite-59743

    Denis

    4 septembre 2009 at 5 h 54 mi

    • Effectivement, on peut envisager un système mixte (avec réduction de la TVA sur toute l’économie ou non). Merci pour ce lien !

      ToM

      4 septembre 2009 at 7 h 38 mi

      • Il faut creuser l’idée. Le couplage des idées me semble très interessant. Surtout dans ma tête il y avait la même idée mais elle n’en est pas sortis. Donc bravo de l’avoir sortis je pensais être seul à avoir ce genre d’idée. Il faut creuser plus afin de trouver la bonne.

        christian

        grasland

        12 octobre 2009 at 9 h 59 mi

  2. Bonjour et merci pour cette interressante réfléxion.

    J’aurai 2 commantaires :

    Sara

    4 septembre 2009 at 8 h 20 mi

    • Ce serait avec plaisir que je lirai les deux commentaires mais ils semblent avoir disparu ! 🙂

      ToM

      4 septembre 2009 at 8 h 56 mi

  3. Désolée j’ai ripé sur le clavier en envoyé mon commentaire trop vite !

    Donc je disais que je trouvais cet exposé très intéressant, mais que j’avais 2 questions/commentaires.

    Je ne suis pas une spécialiste du sujet mais j’avais cru comprendre qu’il n’était pas vraiment possible d’attribuer un taux de TVA différent sur les mêmes produits au nom du principe de concurrence. Car avec ce système les produits en provenance de Chine, avec un bilan carbone plus élevé, serait surtaxé, ce qui ne respecte les règles de la concurrence de l’OMC qui jugerait ce genre de mesure ‘protectionniste’.

    Ma seconde remarque est plus pratique : la TVA ajustée en fonction du bilan carbone des produits implique que chaque entreprise effectue et tienne à jour le bilan carbone de chacun de ses produits ??
    Cela représente des centaines de milliers de bilans carbones à réaliser régulièrement à travers le monde… Est-ce réalisable ? Sans compter qu’il faudrait également mettre en place des audits externes, réalisés par des contrôleurs d’agences gouvernementales pour vérifier qu’il n’y a pas de fraude (je pense notamment à la faisabilité de mettre en place de tels contrôles sur les produits chinois).

    La solution de la TVA variable en fonction du bilan carbone des produit me semble être une très bonne idée de principe…mais me semble difficilement applicable à l’ensemble des produits de grande consommation.

    Sara

    4 septembre 2009 at 15 h 50 mi

    • Re-bonjour,
      Je me suis peut être mal exprimé, mais l’idée n’est pas de moduler le taux de TVA en fonction du bilan carbone. On garde exactement le système de TVA actuel mais on baisse le taux de manière forfaitaire sur toute l’économie : par exemple avec une diminution du taux « normal » de 19.6% à 17.6% (resterait par contre à régler le cas des produits/services qui bénéficient d’un taux à 5.5% ou 2.1%).
      C’est la taxation des produits énergétiques, introduite par la CCE, qui fait la différence de prix entre les produits finis.

      Cela répond donc à vos deux questions/remarques :
      -on ne change pas les règles de la concurrence internationale actuelle
      -il n’est pas besoin de faire un bilan carbone sur chaque produit : il se fait « mécaniquement » à chaque fois qu’il sera fait usage de produit énergétique puisque ceux-ci auront vu leur prix augmenter. Chaque entreprise qui utilise de l’énergie pour fabriquer ses produits voit ses coûts de production augmenter, inversement celles qui font des efforts voient leurs coûts de production diminuer.

      Sur ces deux points, la baisse de la TVA ne change en fait pas grand chose aux propositions actuelles. D’ailleurs ca pause effectivement un problème de compétitivité pour nos entreprises, puisque les produits importés peuvent être produits avec l’utilisation de matière énergétique non soumises à la CCE. Mais ce problème n’est pas nouveau (il se pause pour toute régulation sociale ou environnementale)… et surtout c’est un faux problème ! Car, comme le soulignent certaines entreprises (notamment au travers de l’association Entreprises pour l’environnement), l’économie la plus compétitive demain sera celle qui utilise le moins d’énergie. Or pour économiser l’énergie sur le long terme, il faut faire en sorte que ce soit un facteur de production cher et non pas un facteur de production peu cher (c’est à dire sans taxes).

      Merci de la discussion 🙂

      ToM

      4 septembre 2009 at 17 h 18 mi

  4. […] que l’idée d’une baisse de la TVA émerge -tardivement- dans les débats (voir le post précédent)… et même surpris que cela vienne du PS ! PARIS, 06 sept 2009 (AFP) – La scène […]

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