Changements Climatiques

Les changements du monde par le climat

Taxe carbone : la malheureusement bonne censure du Conseil Constitutionnel

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Dans sa décision 2009-599 DC relative à la loi de finance 2010, le Conseil Constitutionnel a censuré l’ensemble du dispositif  « Contribution Carbone » adopté par le Parlement (voir le communiqué de presse du CC). Est-ce une bonne nouvelle ?


Non !

Après l’échec provisoire de l’action internationale avec le résultat de Copenhague (j’y reviendrai dans les semaines à venir), tout ralentissement d’actions entreprises à l’échelle nationale pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre semble être une catastrophe. On peut également s’inquiéter, comme le fait Arnaud Gossement pour FNE, du fait que le dispositif pourrait être enterré, à cause de son impopularité, à l’approche des élections régionales.

Encore un fois concernant les questions environnementales, seul le Parti Socialiste semble tirer lamentablement son épingle du jeu de cet avatar, en retrouvant une unité autours de la critique de Sarkozy. Mais cette critique unitaire mélange à la fois celle fondée sur des motifs très justifiés (voir ci-dessous) et la critique populiste de Ségolène Royal (je ne reviens pas dessus ici).

Oui !

On peut cependant espérer que cette intervention du CC soit très salutaire.

Tout d’abord parce que le fondement de la décision repose sur un souci de préserver l’environnement (et non pas d’un refus de protection). Les Verts et certains Socialistes soulignent ce point pour attaquer l’action environnementale de Nicolas Sarkozy.

Sur le fond, le CC justifie sa décision par le fait qu’il existe dans le dispositif de trop nombreuses exonérations, en particulier pour l’industrie. Il est vrai que jusqu’en 2013, les quotas européens qui couvrent les industries polluantes leurs sont attribués gratuitement (les industries ne paient que le surplus de quotas dont elles auraient besoin). Mais rappelons que ce choix de l’attribution gratuite de quotas -et en des quantités bien trop importantes- résulte d’un choix gouvernemental français (gouvernement de Villepin) ! Et que d’autres pays procèdent déjà à des enchères partielles (Allemagne). D’autres exonérations (pour l’aviation, les produits agricoles…) sont également constatées. Ce point sur les exonération avait été débattu et dénoncé par différents acteurs dont des ONG. L’ensemble constitue pour le CC une « rupture d’égalité devant l’impôt ». En clair le CC dit : soit toutes les émissions sont taxées (directement ou par l’intermédiaire de quotas payants), soit aucune ne l’est.

Le CC est-il en train d’évoluer ?

Bien que je ne sois pas juriste, à la lecture de la décision, j’ai le sentiment que le CC est en train d’effectuer un virage pro-environnemental encore inachevé.

Tout d’abord, notons que le CC s’appuie largement sur la Charte de l’environnement, à valeur constitutionnelle depuis 2005 (voir para 79 de la décision). Il rappelle également explicitement qu’il est possible d’utiliser des outils de fiscaux pour influencer le comportement des consommateurs dans un objectif d’intérêt général (para 80). Deux éléments fondamentaux.

Rappelons qu’un dispositif de taxation un peu similaire (la TGAP de D. Voynet) avait également été censuré par le CC en 2000. Ce post d’Arnaud Gossement rappelle les faits. En résumé : la taxation de la production électrique autre que celle d’origine fossile (i.e. renouvelable et nucléaire) n’est pas justifiée car ne permet pas de lutter contre les émissions de GES : le dispositif est censuré pour rupture du principe d »égalité devant l’impôt. Dans sa nouvelle décision, le CC ne revient pas sur ce point -il n’a pas à s’exprimer dessus puisque justement la taxe ne couvraient pas ces secteurs-.

En somme, le principe « d’égalité devant l’impôt » a permis au CC de censurer deux dispositifs pro environnementaux : le premier car il allait trop loin en couvrant des choses qui n’avaient pas à l’être (TGAP), le second en n’allant pas assez loin en offrant trop d’exonérations (Contribution Carbone). Une question simple apparaît : le CC serait donc le seul à connaître le juste chemin ?! Ce qui est rassurant est que sa décision semble le faire évoluer vers une vision plus inclusive, plus large de la protection de l’environnement, en opposition à la décision relative à la TGAP.

Il y a donc quelques sérieuses questions à se poser quant à l’avenir :

– tout d’abord, la censure sur la TGAP était vivement critiquable pour plusieurs raisons (voir à la fin du post), et le CC n’est pas revenu dessus : on peut donc supposer qu’il conserve sa jurisprudence négative pour l’environnement. Mais cela reste à voir…

– surtout, on s’étonne et se réjouit de l’intérêt du CC pour la taxation sur l’énergie. En effet, les économistes ne cessent de dénoncer en France (comme partout ailleurs) un régime de fiscalité économique totalement incohérent : il existe de très nombreuses niches et exonération de taxes qui conduisent à des prix d’usage de l’énergie absolument pas harmonisés. Au final, cela entraine des inefficacités économiques et surtout des impacts environnementaux évitables facilement par substitution d’énergies polluantes par des énergies moins polluantes simplement grâce à l’utilisation du signal prix. Une des mesures préconisées depuis longtemps, techniquement simple à mettre en place mais politiquement difficile, serait d’harmoniser le régime fiscal de l’énergie. On peut se poser sérieusement la question d’une telle éventualité à partir de cette dernière décision ! Le CC censurera-t-il désormais toute loi fiscale qui touche à l’énergie au motif que l’imposition est incohérente et constitue une rupture manifeste du principe d’égalité devant l’impôt ? On peut l’espérer…

Conclusion ?

Personnellement, je pense que, concernant le secteur industriel, il serait plus justifié de revoir les quantités de quotas alloués et leur mode d’attribution plutôt que de conserver trop de quotas gratuits et d’y adjoindre une taxe qui va alourdir et brouiller le système d’incitation. Mais cette décision ne pourrait revenir qu’à l’exécutif qui ne semble pas vraiment disposé à la prendre… donc en attendant, la censure par le CC est une bonne chose si cela ne tue pas le dispositif dans l’ensemble.

Si Nicolas Sarkozy veut continuer à affirmer son action pro-environnementale, il n’a d’autre choix que d’aller de l’avant et de présenter un nouveau dispositif qui couvre véritablement toute l’économie : la décision du CC met le Président au pied du mur.

—-

En deux points, pourquoi la censure de la TGAP était critiquable ?

– il est largement montré que l’ensemble de l’économie doit être plus efficace au plan énergétique pour permettre la réduction massive des GES… ceci justifie toute mesure favorisant l’efficacité énergétique dans un objectif de lutte contre les changements climatiques, que cela touche les énergies fossiles, nucléaires ou renouvelables.

– il est faut de dire que le nucléaire n’a pas d’impact sur le climat. Outre ses émissions intrinsèques (certes faibles), l’usage intensif du nucléaire en France a d’importants impacts sur le réseau électrique européen… et sur la production électrique à partir de charbon ! En effet, en périodes de pointe, le réseau français importe de l’électricité de centrales qui peuvent démarrer rapidement (charbon, gaz), principalement situées en Allemagne et en Europe de l’Est. Or, pour des raisons de convention concernant les inventaires nationaux de GES, les émissions de ces centrales ne sont pas comptées dans l’inventaire français mais dans l’inventaire du pays producteur. Autrement dit, si le CC réfléchissait un tout petit plus loin que le bout des frontières de l’hexagone, il aurait compris le lien entre TGAP et émissions de GES… Mais peut-être était-ce trop lui demander que de penser à l’échelle européenne ?

14 Réponses

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  1. elle vit ou et comment cette bonne ame ? populiste? la populace…les ouvriers ..les manants…trop stupides pour comprendrent…..

    decimamas88

    30 décembre 2009 at 20 h 21 mi

    • Tout d’abord, comme les lecteurs de commentaire l’auront constaté, l’objet de mon article n’était pas de faire une analyse des réactions politiques mais plutot une analyse de la décision du CC. Au passage, j’ai glissé ce commentaire amer sur le PS. Rien de plus, rien de moins.

      Je suppose que c’est l’auteur de ce blog qui est considéré comme une « bonne âme » ? La réponse est simple : en ce moment je vis à Bamako (Mali) où je travaille à titre gratuit sur les négociations internationales relatives au climat pour le gouvernement du Mali. Précision peut-être nécessaire : je ne vis pas sur des rentes familiales mais sur mes économies issues de mes jobs étudiants…

      Je ne considère pas que le peuple est une « populace » ou des « manants » incapables de comprendre. Je réfute même le terme de « peuple » qui tend à faire la distinction entre l’ensemble de la population et son « élite » dirigeante.

      En revanche, je refuse de céder à la dictature des sondages ou à celle de la majorité. Je pense que tout un chacun est en mesure de comprendre s’il a accès à quelques d’explications clés… et s’il accepte que les solutions/pensées intuitives ne sont pas toujours les bonnes. Et que les médias ne sont pas toujours suffisants pour comprendre un enjeu (il faut aller un peu plus loin dans la réflexion que les petites phrases de chacun).

      Revenons au sujet initial. La taxe carbone (ou autre appellation) n’est pas un outil contre « le peuple » -même si elle est proposée par un gouvernement de droite- mais bien un outil qui lui est favorable.

      Je critique vertement Mme Royal d’autant plus sereinement que, venant de Poitou-Charentes, j’apprécie à sa juste valeur la politique environnementale locale qu’elle mène. Je suis malheureusement atterré par son discours national sur le sujet de la fiscalité environnementale… que je ne peux m’expliquer que par une volonté d’accès aux médias, coûte que coûte… même au détriment de l’intérêt général (environnemental et social).

      Je ne vais pas développer dans ce commentaire les arguments relatifs à la taxe carbone -ils l’ont largement été par d’autres, je le ferai au cours d’un article spécifique qd ce sera possible- ; je vous prie simplement de croire que le rejet de la critique de Ségolène Royal ne provient pas d’un mépris « du peuple » mais bien au contraire de la considération de son intérêt profond et réel (et qui s’oppose à l’intérêt médiatique de court terme d’une personne).

      ToM

      31 décembre 2009 at 8 h 32 mi

  2. la critique de Mme Royal serait « populiste » et les autres critiques seraient « justifiées »? votre commentaire est méprisable.Participez au lynchage médiatique si cela vous donne des satisfactions, mais venez voir en Poitou-Charentes pour vous informer !!!!!

    kolod

    31 décembre 2009 at 8 h 29 mi

    • Je crois que mon poste précédent (posté en même temps) répond au vôtre. Je conçois et comprends qu’une telle assertion sans explications soit choquante voire « méprisable ». Je maintiens la critique et je vais essayer de m’en expliquer dans les détails.

      ToM

      31 décembre 2009 at 8 h 36 mi

  3. Les critiques « populistes » de SR que je vous invite à relire ne disait rien d’autre que la décision du CC : injuste et inefficace…!!!
    Mais si vous avez absolument besoin d’un coupable…

    PICARD

    31 décembre 2009 at 8 h 38 mi

    • Lisez moi bien : certaines critiques (émanant d’autres personnalités du PS, d’Europe Ecologie, d’ONG…) me semblent absolument justifiées. Ce sont celles qui correspondent aux motivations de censure du CC (sur les modalités de la fiscalité environnementale).

      En revanche, je fais la distinction avec d’autres critiques (Ségolène Royal mais aussi d’autres personnalités de gauche ou d’extrême gauche) qui fustige le principe de fiscalité environnementale.

      Je n’ai pas besoin d’un coupable, et au contraire, je suis déçu des déclarations de Ségolène Royal…

      ToM

      31 décembre 2009 at 8 h 42 mi

  4. Égalité devant l’impôt ?? Voilà quelque chose de nouveau de la part du CC. S’il veut appliquer ce nouveau principe, il a beaucoup de pain sur la planche, même en se cantonnant à l’énergie. Pourquoi certaines catégories (transporteurs, taxis, pécheurs, etc.) sont elles détaxées ? Pourquoi le fuel lourd n’est il pas taxé autant que l’essence ?
    Et pourquoi les quotas d’émissions CO2 appliqués à certaines industries (et pas à d’autres) ne sont ils pas appliqués aux particuliers. Ces quotas sont certes gratuits, mais le coût de 100$/t CO2 est prohibitif si on les dépasse. Et pourtant, voilà bien une manière astucieuse de limiter les émissions lorsque l’économie surchauffe et de favoriser le développement en période de crise.

    Tout cela pour dire que si la décision du CC apparaît cohérente à première vue, elle est en fait bien loin de l’être. Il y a deux manières de baisser les émissions de CO2:
    1) taxer les émissions des particuliers. Même si cette mesure ne touche -pour des raisons d’applicabilité pratique- que l’utilisation directe de combustibles fossiles, elle paraît très efficace, Y COMPRIS SUR L’INDUSTRIE. Celle ci en effet devra adapter sa production au comportement des consommateurs. Et cela touche directement les transports (28% de nos émissions GES), le chauffage (20%) et indirectement la transformation d’énergie (12% centrales, raffinage); agriculture et industrie manufacturière étant moins concernées. Avantage majeur, les importations sont autant taxées que les productions locales.
    2) taxer les émissions des industries. On sait parfaitement que cela favorisera les délocalisations. L’UE y travaille, mais ne semble pas encore avoir trouvé la parade.

    On peut aussi taxer particuliers et industrie comme le conçoit le CC, mais ça ressemble fortement à la double peine pour nos emplois…Tout cela manque singulièrement de vision et ressemble plutôt au combat politicien du quotidien.

    Jean René B.

    31 décembre 2009 at 10 h 55 mi

    • Je vous rejoins sur l’analyse des solutions possibles (taxation consommateur / producteur).

      Concernant la crainte de perte d’emplois, on se trouve face à un problème similaire à celui des droits sociaux (qui défavorisent la compétitivité de économies)… mais est-on prêt à s’en passer pour autant ? Je pense que c’est un débat qu’on peut dépasser si un action internationale réelle est menée (et à ce niveau, N. Sarkozy a encore de grands progrès à faire avant d’être vraiment utile).

      De plus, il faut penser que les économies dominantes du XXIème siècle seront celles qui sont les plus performantes au plan énergétique et environnemental : une nouvelle bataille se joue. Si les contraintes environnementales peuvent peser à moyen terme (disons 10 à 20 ans), elles se révèleront un très grand atout économique à plus long terme (30 à 50 ans) : celui qui maitrisera les nouvelles technologies et les nouvelles organisations sociales compatibles avec l’environnement aura un gros avantage international.

      ToM

      31 décembre 2009 at 13 h 16 mi

      • On est bien d’accord.
        Cependant, la performance énergétique et environnementale ne sera décisive que dans un scénario optimiste (celui que je préfère); disons un scénario où Copenhague serait un franc succés…
        Il se peut (hypothèse pessimiste) que les gagnants soient ceux qui possédent l’énergie, qu’elle soit propre ou non. Regardons la Chine qui ouvre une centrale à charbon par semaine (exploitation pendant ~ 50 ans), nous fait une forte concurrence en Afrique et est en passe de devenir le champion de l’éolien. C’est un feu de tous bois dans lequel nous sommes mal armés.

        Jean René B.

        31 décembre 2009 at 13 h 48 mi

  5. L’analyse faite autour des election est pour moi trés douteuse,on oublie ici que ceux qui vont payer ce sont encore les contribuables. Le CC a eu raison ne pas acceter car on exonère seulement ou en grande parties les gros pollueur.
    La copie sera difficile a réaliser sans accord mondial ou communautaire plus restrictifs et visible. c’est à l’ue de revoir sa copie !

    oble

    31 décembre 2009 at 12 h 13 mi

    • Disons que le cadre européen existe et que l’exonération des gros pollueurs n’est que provisoire (à partir de 2013, c’est la fin de la fête progressivement). N’oublions pas non plus que ces gros pollueurs sont ceux qui ont le plus réduit leurs émissions depuis 1990 et qu’ils ne polluent pas pour le plaisir de polluer mais pour produire des biens qu’ils espèrent vendre ensuite. Tout est dans les mains du consommateur.

      Cependant je vous rejoins : un cadre communautaire renforcé serait surement une meilleure solution que des taxes carbone en ordre dispersé au sein de l’UE. Mais on n’y est pas encore, alors en attendant…

      ToM

      31 décembre 2009 at 13 h 19 mi

      • Une fois de plus, les médias ne comprennent rien : si les quotas étaient vraiment gratuits, le cours de l’EUA (le nom technique du permis d’émission) serait de 0 €. Hors il oscille entre 28 € et 8 €, actuellement vers 12 €. Le seul point « oublié » par nos brillants journalistes est que les permis ne sont pas infinis : l’allocation est limité un peu en-dessous du nécessaire. Avec la crise, ça ne se voit pas encore trop. On en reparlera en 2011…

        FX

        5 janvier 2010 at 11 h 43 mi

      • Merci pour ce commentaire.
        Je suis parfaitement d’accord, et le Conseil Constit ne semble pas avoir compris cela (puisqu’il ne le mentionne pas dans sa décision). Cependant, le coût reste tout de même moindre qu’une taxe ou qu’une distribution par mise aux enchères… et en ce sens, l’argumentation du Conseil Constit tient toujours. Laissez-moi cependant douter, en France, de la sincérité de l’allocation par le gouvernement français…

        ToM

        5 janvier 2010 at 12 h 26 mi

  6. […] un commentaire » Dans un article précédent relatif à la censure de la Contribution Carbone par le Conseil Constitutionnel et dont lemonde.fr […]


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