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Climat : l’Afrique fait monter la pression à Barcelone

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Dès l’ouverture lundi à Barcelone du dernier round de négociation avant Copenhague, l’Afrique tape du point sur la table. Et fort, puisque les négociations sont partiellement bloquées. Explications.

Il faut commencer par un petit rappel du fonctionnement de la négociation. Celle-ci se déroule dans deux cadres institutionnels parallèles définis par la feuille de route de Bali (ou Bali Action Plan -BAP-) : l’Ad-hoc Working Group on Kyoto Protocol (AWG-KP) et l’Ad-hoc Worging Group on Long-term Cooperative Action (AWG-LCA).

Comme son nom l’indique, l’AWG-KP regroupe les pays qui ont ratifié le protocole de Kyoto (Parties au protocole)… c’est à dire tout le monde, sauf les Etats-Unis. Comme son nom ne l’indique pas, l’AWG-LCA regroupe les parties qui ont ratifié la Convention des Nations Unies sur les Changements Climatiques (UNFCCC), c’est à dire tout le monde, y compris les Etats-Unis (le Parties à la Convention). Dans les deux groupes AWG, des « groupes de contacts » par sujets se réunissent pour avancer sur le texte.

Le décor planté, rentrons dans le vive du sujet.

Le Protocole de Kyoto prévoit que la première période d’engagement (2008-2012) sera suivie d’une seconde période (2013-2017 ou 2020). Les Parties au protocole doivent discuter des futurs engagements, et en particulier les Pays de l’Annexe B (les pays industrialisés) doivent s’engager sur un nouveau chiffre global et des engagements individuels  d’atténuation. Ceci aurait dû être fait lors du premier semestre 2009, mais pour le moment toujours pas de chiffres. Et les négociations n’avancent pas sur ce sujet.

Ceci, parallèlement à d’autres déclarations, fait dire aux pays en développement que les pays développés veulent tuer le protocole de Kyoto. A la fin de Barcelone, l’UE avait par exemple annoncé son souhait de dépasser Kyoto… Or, dans Kyoto, il y a des acquis majeurs pour les pays en développements : le principe de responsabilité commune mais différenciée, le caractère contraignant des engagements de réductions… Mettre fin à Kyoto ne donne pas de garantie sur ce que serait le nouveau texte.

D’où la décision de taper du point sur la table pour les pays africains : ils ont déclaré lors de l’assemblée plénière lundi qu’ils souhaitent la suspension des discussions de tous les groupes de contacts du groupe AWG-KP tant que des chiffres de réductions dans le cadre du protocole de Kyoto ne seront pas négociés. Etant donné que toutes les Parties sont requises pour continuer les discussions, leur action implique obligatoirement la suspension des travaux dans tous les groupes (sauf un) de l’AWG-KP.

Lors de sa conférence de presse mardi (visible ici), le groupe afrique s’est expliqué de la démarche, fort logique au demeurant :

  • en premier lieu, comme déterminé par le Protocole lui-même et par le Plan d’action de Bali, il faut s’accorder sur les chiffres de réduction des pays développés inclus dans le Protocole de Kyoto. Cette discussion se déroule dans l’AWG-KP.
  • comme prévu par l’article 1) b) i) du plan d’action de Bali, nous devons avoir les engagements de tous les pays développés. Il faut donc élargir les chiffres fixés dans l’AWG-KP et inclure les Etats-Unis. Il faut renvoyer la discussion dans l’AWG-LCA.
  • ensuite, et seulement ensuite, on aborde l’article 1) b) ii) du plan d’action de Bali, afin de fixer des objectifs pour les pays émergents. La discussion se déroule toujours dans l’AWG-LCA.

Mettre la pression sur les engagements chiffrés d’atténuation est totalement logique : c’est un préalable à l’organisation d’un schéma global. En effet, les mécanismes de flexibilité ou la comptabilité liée au changement d’usage des sols (LULUCF) ou encore la déforestation, sont totalement dépendants de la contrainte initiale posée. Pour les mécanismes de flexibilité, c’est évident : il faut arriver à savoir si un projet d’atténuation des émissions dans un pays du sud, subventionné par un pays du nord, correspond à un mécanisme de flexibilité type MDP -et dans ce cas, il s’agit d’un « transfert du lieu de réduction des émissions » (la réduction est comptabilisée dans le pays développé) – ou si ce projet correspond à un soutien à l’atténuation per se dans les pays en développement (la réduction est comptabilisée dans le pays émergent). Tant qu’on n’a pas déterminé qui doit diminuer quoi, on ne peut pas déterminer les mécanismes d’échanges de contraintes.

Cette initiative du groupe Afrique est une offensive stratégique dans un contexte de faiblesse de l’engagement des pays développés. Rappelons que d’après les chiffres du secrétariat de l’UNFCCC, les engagements actuels des pays développés (hors Etats-Unis) conduisent à une atténuation comprise entre 17 et 23% des émissions d’ici 2020 (par rapport à 1990). Si on inclut les Etats-Unis, les chiffres tombent aux alentours de 10% de réduction. Et ceci alors que d’après le GIEC il est nécessaire de réduire entre 25% et 40%  les émissions des pays industrialisés d’ici 2020 (avec une déviation substantielle des émissions des pays en développement) pour pouvoir atteindre l’objectif du +2°C. Les pays africains réclament le haut de la fourchette (40%).

En termes de soutiens financiers, malgré l’auto-satisfecit de l’UE, la situation n’est pas non plus acceptable pour les pays africains (article à venir).

Le groupe Afrique a reçu le total soutien du G77 + Chine, qui a fait une déclaration claire lors de sa conférence de presse (visible ici). Les pays développés sont au pied du mur : ou bien il font vivre le protocole de Kyoto et s’engagent rapidement avec des chiffres de réduction sur la seconde période, ou bien ils continuent de vouloir le tuer… mais dans ce dernier cas, ils bloquent les discussions.

Actualisation le 3 nov. à 10h :

après de longues discussions de lundi soir et mardi, les pays développés ayant indiqué leur souhait d’avancer sur les chiffres de la seconde période de Kyoto, le groupe Afrique a décidé de lever le « boycott » afin que les discussions reprennent dans tous les groupes de discussion de l’AWG-KP.

Voir cette dépêche Reuters.