Changements Climatiques

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Climat : bilan de la réunion à Tianjin, une histoire de petite cuillère

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Conciliabule informel des négociateurs (pour débloquer la situation) lors de la séance plénière du groupe AWG-LCA à Tianjin, 9 oct 2010

 

Article publié initialement sur adopt a negotiator.

 

A Tianjin, en Chine, se tenait jusqu’au samedi 9 octobre la dernière séance intermédiaire de négociations avant la Conférence des Parties à la Convention qui se tiendra à Cancún en décembre prochain. Le résultat est très mitigé. Tentative d’explications.

Situation générale

Après la claque de Copenhague (où, rappelons-le, il n’a été produit en décembre qu’un texte à caractère politique non approuvé par tous les pays), les réunions qui se sont tenues à Bonn en juin puis à Tianjin la semaine dernière avaient pour objectif de continuer à travailler dans le cadre du processus de négociation du Plan d’Action de Bali (2007). Les négociations sont organisées dans selon deux voies parallèles dites AWG-KP et AWG-LCA : la première doit permettre la suite du protocole de Kyoto tandis que la seconde doit permettre une coopération plus large et de long terme (en intégrant les Etats-Unis et les grands pays émergents dans les efforts de réduction des émissions).

A Copenhague, les textes des deux groupes KP et LCA avaient été sauvés d’un abandon total afin de ne pas perdre deux ans de travail. Dans le LCA, lors des réunions de Bonn de juin dernier, les textes de négociation avaient beaucoup enflé car les pays ont tenu à inclure toutes leurs positions et ont rejeté des textes plus concis proposés à deux reprises par la Présidence. Or, l’objectif est d’arriver à Cancún avec des textes suffisamment courts et clairs afin que des choix politiques puissent être réalisés. A Tianjin, l’objectif était donc de couper, réorganiser, concentrer les textes afin de permettre l’adoption de Décisions qui constitueraient le socle de construction d’un (ou plusieurs) traité(s) pour la COP17 à en Afrique du Sud de 2011.

Avancer de manière « équilibrée »

« Balanced » (équilibré) aura été le mot dans toutes les bouches de cette réunion de Tianjin. La notion d’équilibre est difficile à décrypter, mais l’idée principale semble être que les négociations internes à chaque groupe de discussion (KP et LCA) doivent avancer de manière cohérente sur les principaux chapitres… mais aussi que les deux groupes doivent avancer tous les deux de manières coordonnées.

Par exemple actuellement, d’après Paul Watkinson (chef de délégation de la France), pour l’Union Européenne le LCA est en retard sur le KP. L’idée est la suivante : les discussions sur la prolongation du protocole de Kyoto qui engagent les pays développés (hors Etats-Unis) ne peuvent aboutir qu’à la condition qu’il y ait une visibilité claire de ce qu’il se passe concernant les Etats-Unis et les pays émergents dans le LCA. Cette visibilité concerne le niveau d’engagement de réductions, mais aussi le caractère contraignant de ces engagements et les règles générales qui s’appliquent. L’UE exige d’avoir des garanties sur ces deux points avant de s’engager elle-même.

Le problème est que chaque groupe de Parties a sa propre définition de ce qu’être « équilibré » : l’Union Européenne a esquissé une liste d’éléments dans un document interne, le G77+Chine a fait de même. La Présidence a proposé une série d’éléments qui pourraient constituer un paquet de décisions équilibré, sans recevoir de soutien particulièrement enthousiaste de l’ensemble des Parties.

Ce qui a bloqué

Or, actuellement, le LCA n’avance pas sur deux chapitres essentiels (dits « 1bi » et « 1bii ») qui concernent la réduction des émissions des pays développés d’une part et celle des pays en développement d’autre part. A Tianjin, les négociateurs n’ont même pas travaillé réellement sur le texte. Lors de la séance plénière de conclusion du LCA, chaotique, la Présidence du groupe a proposé une note décrivant les différentes positions entendues lors de débats… Mais cette note a été assez mal accueillie (erreurs, formulations explosives, interrogation sur son statut juridique…). Au final elle a été acceptée comme un aide-mémoire des débats passés, mais sans résoudre du tout le problème de l’absence de texte.

Un autre chapitre bloquant, directement en lien avec les précédents, est celui dit du « MRV » (pour « measurable, verifiable, reportable ») : il s’agit cette fois de trouver un système international qui permette d’établir transparence et confiance sur la réalité des actions entreprises pour réduire les émissions. Ce chapitre est très lié à la question des financements, puisque le MRV peut également s’appliquer au contrôle des financements effectivement dégagés par les pays développés. Ce problème du MRV n’est pas nouveau, il avait été très présent à Copenhague ; la Chine semble montrer très peu de flexibilité pour tout système de vérification qui interviendrait sur son sol… à moins que ce ne soient les Etats-Unis qui exigent des contrôles trop importants ?

Des discussions de procédure et des blocages difficilement compréhensibles dans KP

Sur l’autre voie de négociation relative au protocole de Kyoto, on a assisté tout au long de la semaine des échanges assez virulents sur le respect des procédures. En effet, les discussions actuelles sont encadrées par un mandat ; or celui-ci ne comprend pas certains aspects que pourtant certains pays exigent de régler avant d’avancer sur le chiffrage des réductions d’émissions. Ces points problématiques sont, grosso modo, les règles de comptabilité des émissions de GES et la gestion du surplus d’unités d’émissions de la première période. L’UE, mais aussi l’Australie, le Japon veulent l’établissement clair de ces règles, pour pouvoir ensuite prendre des engagements. Ce qui paraît assez logique (on peut en effet modifier substantiellement la nature d’un engagement chiffré en modifiant les règles du jeu a posteriori).

Mais le Brésil et la Chine mettent un point d’honneur à vouloir s’en tenir de manière étroite au mandat initial du groupe de travail, c’est à dire uniquement le chiffrage sans discussion sur les règles. Résultat : les discussions s’enchaînent et se répètent sur la procédure, sans que rien ne bouge sur le fonds.

Il est assez difficile de comprendre la dynamique qui est derrière ce blocage. Les pays en développement n’ont de cesse de répéter qu’ils exigent la survie du protocole de Kyoto. En jouant sur la procédure comme ils l’ont fait à Tianjin, le Brésil et la Chine réduisent les chances de progrès et donc, in fine, d’un accord à Cancún.

Inversement, pourquoi les pays développés exigent-ils de dépasser le mandat de Bali ? N’auraient-ils pas anticipé, lors de l’établissement du mandat de travail, les questions qu’ils mettent aujourd’hui sur la table ? Ce serait étonnant, tant chaque position est pesée et pensée à long terme… Y aurait-il donc un piège tendu par les pays développés ?

A moins que la discussion sur les règles ne soit pas appréciée par le Brésil et la Chine, simplement par défense de leurs intérêts. On sait qu’il faudra une cohérence des règles entre le KP et le LCA. Ainsi, les pays en développement auraient peur de discuter de ces règles (dont ils savent qu’elles devront s’appliquer au moins partiellement à eux) tant que d’autres points ne sont pas éclaircis dans le cadre du LCA.

Tout ceci n’est que suppositions. Mais le fait est que les négociations sur la seconde période d’engagement, qui doit commencer en 2013, n’ont pas avancé à Tianjin.

Les points qui ont avancé

Sur les autres chapitres, en revanche, les discussions semblent avoir été constructives globalement. Par exemple, sur les financements à long terme, des brouillons de décisions ont été discuté, ce qui indique un niveau avancé de négociation. D’ailleurs on peut espérer l’établissement à Cancún d’un « fonds vert » par une Décision. Celle-ci organisera également le processus de « faisabilité » de ce fonds pour 2011, c’est à dire la réflexion sur la concrétisation du fonds (choix institutionnels, organisation concrète, levée des fonds…), afin d’une mise en place dans les années qui suivent.

De manière similaire, la question des transferts de technologies a continué d’avancer : la création d’un Comité Exécutif des Technologies doublé d’un réseau de centres régionaux de soutien aux transferts de technologies pourrait être décidée. Les autres chapitres plutôt encourageants sont ceux relatifs l’adaptation, à la protection des forêts (mécanisme dit REDD+).

Chemin vers Cancún : garder de l’optimisme

La question principale est donc : les deux mastodontes (Etats-Unis et Chine) vont-ils bouger à Cancún ? Il faut absolument que la question du « MRV »  trouve une issue rapidement. A priori, comme pour Copenhague, cette question ne peut pas être réglée au niveau des négociateurs : il faut qu’elle le soit au niveau politique.

Les Etats-Unis ont annoncé et répété leur volonté d’aller vers un engagement contraignant. Jonathan Pershing (chef de délégation) a affirmé avec vigueur que son pays garde une forte volonté d’agir en interne par la réglementation, mais qu’en aucun cas la situation interne à son pays ne peut justifier un blocage de la part des autres pays.

En face, la Chine, notamment en accueillant pour la première fois une réunion de l’UNFCCC, a également voulu démontrer sa volonté d’avancer : elle a rappelé ses engagements nationaux – qui sont réellement importants-, ainsi que la réalité de ses politiques nationales.

Mais concernant l’atténuation des émissions, il existe un réel problème : les engagements des pays développés sont, pris ensemble, trop faibles pour permettre le respect de l’engagement dit du « 2°C » (i.e. pas de réchauffement supérieur à 2°C en 2100 par rapport à la période préindustrielle). L’accroissement de ces engagements paraît indispensable aux yeux des pays en développement… Or pour cela, il n’y a pas a priori de réserves de réductions : nous sommes aujourd’hui sur des promesses d’engagements qui sont fixes par rapport à il y a un an. Et il n’y a rien qui laisse penser que les pays développés ont l’intention de bouger pour aller plus loin.

Au-delà du fond, il y a également une sérieuse inquiétude à avoir : il est à craindre que les textes des deux chapitres problématiques du LCA soient encore bien trop longs (et mal organisés) pour pouvoir permettre d’aboutir à une conclusion à Cancún. Or, en respect du principe d’équilibre sur lequel tout le monde s’accorde, si ces chapitres bloquent, c’est tout le reste qui coince également !

Une absence de tout résultat à Cancún serait sérieusement inquiétante : cela pourrait mettre davantage en péril le processus des Nations unies (déjà décrit par de certains acteurs comme « malade »).

On retiendra cependant l’optimisme de Mme Figueres, la secrétaire générale de la Convention : elle croit tout à fait en une possible réussite et rappelle qu’il n’existe pas d’alternative aux Nations unies. Elle rappelle qu’elle n’a entendu aucune Partie s’opposer à l’idée d’un accord contraignant, et que de nombreuses Parties se sont  même exprimées en sa faveur. Elle dédramatise la situation en la remettant en perspective : l’humanité fait face à un changement d’une ampleur inédite dans toute son histoire. Il est donc normal que cela soit compliqué, difficile.

Mme Figueres n’est pas une adepte des grands soirs : pour elle, changer le monde se fait avec une petite cuillère. Je ne peux m’empêcher de vouloir y croire, tout en ayant peur que la cuillère serve plus à le ramasser, ce monde, plutôt à qu’à le changer…

Written by ToM

22 novembre 2010 at 7 h 19 mi

Négociations à Tianjin, état d’esprit

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Article publié initialement sur adopt a negotiator.

Copenhague était LE rendez-vous pour le climat. Copenhague a failli. Aujourd’hui, la situation est toujours problématique et les discussions internationales continuent. Ambiance gueule de bois (sans fête au préalable).

Copenhague, un sauvetage sous forme d’échec

Le naufrage complet de Copenhague a été évité « grâce » aux chefs d’Etat qui se sont réunis les derniers jours de la 15ème Conférence des Parties (COP15) de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) à Copenhague en décembre 2009. Non pas que les chefs d’Etat aient tranché les questions problématiques des discussions comme ils auraient pu le faire -cela aurait été faire de Copenhague un succès-, mais ils ont réussi à s’accorder sur un texte vague et incertain pour montrer leur « détermination politique ».

Mais le texte n’a pas été adopté par l’ensemble des pays, notamment parce que la procédure de son établissement avait privé la plupart des pays de toute expression ou participation. Pour sauver le texte de sauvetage (sic), il a été décidé que chaque pays donnerait plus tard (fin janvier 2010) son soutien à ce texte, ainsi que les engagements qu’il est prêt à prendre en matière de réduction des émissions. Voilà qui était intelligent : ce que nous nous disons ensemble conduit au désaccord, alors disons-le séparément et le désaccord disparaitra. Evidemment, ce texte, au statut juridique flou et qui n’a pas permis de dépasser les grands blocages, ne résout rien. Aujourd’hui l’avenir climatique du monde est toujours des plus incertains.

Pas de gouffre, mais une grande claque

Pour Copenhague, la société civile mondiale s’était mobilisée à un niveau sans précédent pour une question environnementale. Les actions symboliques ont été très nombreuses ; les ONG, syndicats, partis politiques ou simples citoyens ont fait monter la pression sur leurs dirigeants. Les médias étaient au rendez-vous. Copenhague était le symbole du « maintenant ou jamais », stratégie développée pour faire monter la tension dans l’espoir d’une mobilisation toujours plus grande. Dans l’imaginaire collectif, Copenhague marquait notre présence « au bord du gouffre ». Or les dirigeants n’ont pas réussi. Heureusement, nous ne sommes pas tombés dans le gouffre.

Mais la claque fut grande. Et les réactions diverses. On a vu, en cette année 2010, les mouvements négationnistes des changements climatiques prendre de l’essor : ils trouvaient une audience. Réflexe de protection : si nous n’arrivons pas à résoudre la situation, alors considérons la situation comme moins grave, et le problème disparaît. Pourtant rien n’a changé, les tendances géophysiques longues sont toujours là, soutenues par des évènements de court terme inquiétants (les feux de forêt en Russie, les inondations en Afrique de l’Ouest, Chine, Pakistan…).

Pour la société civile, le succès de mobilisation pré-Copenhague s’est transformé en gueule de bois magistrale : comment faire quand LE moment qui devait sauver le monde est passé et que rien n’est résolu ? En fait, en matière de climat, il n’y a pas de gouffre (les changements ne seront jamais brutaux à l’échelle de la vie humaine), mais seulement une pente qui descend de plus en plus vite. Nous sommes donc toujours sur la pente descendante.

Aujourd’hui, ce qu’il se dessine pour l’avenir

En décembre prochain, la Conférence des Parties (COP16) se réunit comme chaque année, à Cancun cette fois. Il est clair que la mobilisation de la société civile n’est pas de la même ampleur qu’il y a un an. Et pourtant l’avenir du climat est toujours en discussion. La société civile se mobilise de nouveau, dans une ambiance « chat échaudé craint l’eau froide ». Moins d’enthousiasme passionné, mais aussi plus de pragmatisme

La COP16 du Mexique ne sera pas celle de la délivrance : il n’y aura pas de traité global. Les discussions techniques, qui ont repris sur les bases des discussions laissées en friches à Copenhague, ont continué lors de réunions successives à Bonn les mois passés, avec morosité. La confiance entre de nombreux pays a été gravement atteinte à Copenhague.

L’un des objectifs principaux de la société civile est donc d’arriver à relancer une dynamique positive dans le processus de discussion multilatérale. Permettre que la confiance revienne et consolider les bases pour un accord à venir un an plus tard (lors de la COP17 de décembre 2011 en Afrique du Sud). L’enjeu est important : si la confiance ne revient pas, il est probable qu’on assistera à la déliquescence du processus multilatéral sous l’égide de l’ONU. Or il n’existe aujourd’hui aucun cadre alternatif satisfaisant.

Certains critiquent le processus des Nations Unies sur le climat car la CCNUCC semble tourner dans le vide depuis vingt ans sans permettre de réelle prise en main de l’avenir climatique. Mais quelles seraient les alternatives ? Toute décision des principaux forums mondiaux (G8, G20…) ou de forums ad-hoc (Forum sur l’Energie et le climat de New-York…) ont la particularité de ne représenter que les plus riches, les plus gros, les plus puissants ou les plus pollueurs. Toute décision prise dans un tel cadre exclurait de fait les plus pauvres, les plus faibles, les victimes et ne pourrait être que considérée que comme injuste (quand bien même, dans un élan d’altruisme peu probable, les riches-puissants-polluants auraient décidé de prendre une décision très ambitieuse et équitable). Sortir le climat des Nations Unies serait la marque d’un échec majeur de la gouvernance mondiale un tant soit peu équitable.

Cela ne veut pas dire que l’action décentralisée au niveau des pays, des régions, des villes, des entreprises, des ONG, des citoyens est sans valeur. Au contraire ! Cette action décentralisée est la preuve que le monde, au niveau du sol, veut avancer dans une direction positive. Cela est fondamental (et ne pas l’avoir serait inquiétant : sachons nous satisfaire des choses qui vont bien !). Mais cela ne permet pas pour autant de se passer d’une coordination internationale pour gérer le bien public mondial qu’est le climat, afin de garantir équité, justice et réelle durabilité pour l’humanité.

Lors de la réunion préparatoire de Tianjin, du 4 au 9 octobre, il faut clarifier les choses et pousser pour remettre les négociations sur de bonnes bases en vue des discussions au Mexique, qui elles-mêmes permettront une réussite majeure en Afrique du Sud en 2011. A n’en pas douter.

Written by ToM

22 novembre 2010 at 7 h 04 mi